Incompiuto calabrese

Au confins de la botte italienne, à l’extrême sud calabrais, là où les montagnes se jettent dans la mer, on est bien loin des grandes villes du nord. Dans ce paysage méditerranéen, l’œil est attiré par les inachevés. Des logements HLM sans locataires, des terrains de foot où la végétation a repris ses droits sans qu’il y ait eu le moindre coup de sifflet, un port constitué de cubes en béton empilés les uns sur les autres, etc. Ces infrastructures sont restées figées dans l’attente d’une fonction de départ qu’elles n’ont jamais atteinte. Aujourd’hui elles sont devenues autre chose. Par leur capacité à convoquer l’imaginaire, à fonctionner comme des espaces de projection, elles sont devenues des œuvres d’art¹ en même temps que des ruines : vestiges formant le plus important style architectural italien de l’après-guerre.²
 

Le phénomène de l’inachevé (l’incompiuto) se retrouve aussi dans les constructions des particuliers. Le paysage calabrais est jalonné de façades sans enduit, de piliers de béton aux armatures métalliques apparentes et d’étages ouverts au quatre vents. Dans une région où les solidarités familiales sont restées fortes, on ne termine pas les constructions pour des motifs économiques mais peut être aussi philosophiques. Chaque génération pose une partie des pierres avec l’idée que la génération suivante fera sa part.

La Calabre est souvent représentée de manière stigmatisante dans des discours où les incompiuti symbolisent l’emprise mafieuse sur le territoire, l’incompétence administrative et l’incapacité de l’état à réguler les constructions illégales. Sans nier ces difficultés, on peut aussi prendre ces constructions comme les témoins silencieux d’un paysage culturel et philosophique qui a beaucoup à dire, un paysage beaucoup plus proche de la méditerranée que de Milan.

 
¹ « Calabria, le opere incompiute diventano opere d’arte », https://lespresso.it/c/idee/2021/7/19/calabria-le-opere-incompiute-diventano-opere-darte/20613
 

² Incompituo, la nascita di uno stile, Alterazioni Vidéo, Fosbury Architecture, 2018.

 
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