« Avec le monde a commencé une guerre qui doit finir avec le monde et pas avant. Celle de l’homme contre la nature, de l’esprit contre la matière, de la liberté contre la fatalité. Ce qui doit nous encourager dans cette lutte sans fin, c’est qu’au total la partie nous soit favorable. Des deux adversaires l’un ne change pas, l’autre devient plus fort. La Nature est la même, tandis que chaque jour l’homme prend quelques avantages sur elle »
Jules Michelet, Introduction à l’histoire universelle, 1834
La pandémie de coronavirus a plongé la communauté humaine dans une crise sanitaire sans précédent. Plus de 80 pays ont pris des mesures de confinement de leurs populations. Les images de centres-villes déserts des grandes métropoles sont très largement diffusées. Ce moment que nous sommes en train de vivre et qui prend l’allure d’un tournant historique questionne le schéma d’organisation de nos sociétés.
L’avènement de l’industrialisation et plus tard le triomphe du néolibéralisme ont transformé les rapports entre vivants. Cela a entraîné une dégradation spectaculaire et préoccupante de l’environnement et de la biodiversité. L’exploitation de la terre et son appropriation par les humains ont provoqué un déséquilibre de l’écosystème et la disparition de nombreuses espèces animales et végétales.
Avec le tournant libéral amorcé par les élections de Reagan et Thatcher, les démocraties occidentales ont imposé jusqu’à aujourd’hui, un modèle d’économie qui a négligé l’importance des liens d’interdépendance entre animaux, humains et environnement. Un modèle de prédation qui a puisé sa prospérité de l’exploitation des écosystèmes. Le boom des circulations et des échanges au niveau mondial et l’appauvrissement de la faune et de la flore ont ainsi créé un contexte socio écologique favorable à la propagation des épidémies.
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (la FAO), le monde connait depuis les années 1980 un accroissement significatif de la circulation des agents infectieux et des risques de pandémies. Les travaux de Serge Morand, écologue et biologiste de l’évolution, montrent « la corrélation entre le nombre d’épidémies déclarées par pays et le nombre d’espèces de mammifères et d’oiseaux répertoriées en danger par pays. Tout se passe comme si la crise de la biodiversité s’accompagnait de crises épidémiques. » Ce que nous traversons aujourd’hui, confinés pour la moitié d’entre nous, humains, montre l’incapacité du système actuel de gouvernance à lutter contre les épidémies et garantir un développement durable de nos sociétés. Ce ralentissement historique de la machine financière nous oblige à repenser notre rapport au territoire. L’échec du système de domestication de la terre et de ses habitants doit ouvrir la voie à de nouveaux horizons. Nous habitons aujourd’hui le crassier d’un monde industriel en ruine. L’erreur serait de croire que nous sommes réduits à y survivre. Considérer ces ruines comme un terreau d’expérimentations collectives pour qu’il n’y ait plus de « retour à la normale ». Envisager la voie progressiste pour des relations défaites des règles marchandes, pour sortir de l’anthropocentrisme et reconsidérer les rapports entre les vivants. Habiter le crassier en somme.
Quelques idées lancées dans les airs comme des ballons de baudruche, des idées de luttes.